Voici encore quelques mois, alors que les défenseurs du Brexit promettaient à leurs compatriotes qu’ils pourraient avoir le beurre et l’argent du beurre, personne n’aurait pu imaginer que l’on se retrouverait dans la situation actuelle.
Alors que le Gouvernement et le Parlement britanniques tentent toujours – en vain- de s’accorder sur une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et, le cas échéant, sur ses modalités, le Luxembourg doit lui aussi faire face à de nombreuses incertitudes.
En effet, l’avenir du secteur financier luxembourgeois et en particulier les activités liées aux fonds d’investissement pourraient être considérablement secoués par un tel événement. Selon Standard & Poor’s, le Luxembourg est le pays qui, après l’Irlande, devrait ressentir le plus intensément les répercussions du Brexit.
Les magistrales erreurs commises par les dirigeants britanniques qui ont conduit à cette situation ont été amplement commentées. Parmi elles, on peut rappeler la mise en place du referendum de 2016 dans l’espoir des dirigeants britanniques de balayer “une fois pour toutes” l’insurrection eurosceptique qui minait le parti conservateur depuis plus de trois décennies.
Ou encore l’organisation d’élections législatives anticipées en 2017, inutiles, dont les résultats ont finalement fragilisé la majorité en place, ne laissant à aucune des forces politiques en présence les marges de manœuvre suffisantes pour sortir de l’impasse. En résulte, au final, cette stratégie absconse, insaisissable, rendant difficile la négociation et la conclusion d’un accord de sortie de l’Union européenne.
On peut se réjouir, au moins pendant quelques mois encore, que les pires craintes d’un Brexit sans accord ont été balayées (avec le risque de briser purement et simplement des relations financières qui ont été construites pendant plus d’un demi-siècle, d’empêcher les Britanniques de vivre et de travailler au sein de l’Union européenne, ou même de perturber la circulation aérienne entre l’Europe continentale et le Royaume-Uni).
Grâce au pragmatisme dont ont su faire preuve les autorités financières, au Royaume-Uni, au Luxembourg ainsi qu’au niveau de l’Union européenne, les règlements vont, en toute probabilité, rester en l’état actuel, au moins jusqu’à la fin de cette année, et sans doute encore durant 21 mois, voire davantage, quel que soit le dénouement du débat interne britannique.
A priori, le secteur financier luxembourgeois devrait être un bénéficiaire important du Brexit, aux côtés de Dublin, Francfort, Paris et Amsterdam ou encore Madrid.
A priori, le secteur financier luxembourgeois devrait être un bénéficiaire important du Brexit, aux côtés de Dublin, Francfort, Paris et Amsterdam ou encore Madrid Face au risque de ne plus pouvoir accéder au marché unique en cas de Brexit, près de 60 gestionnaires d’actifs, prestataires de services financiers et assureurs spécialisés, ont déjà fait le choix de s’installer au Grand-Duché.
En effet, des acteurs financiers établis au sein de l’Union européenne bénéficient d’un passeport leur permettant de distribuer leurs produits et services dans d’autres États membres sans avoir à obtenir d’autorisations supplémentaires. Si le Royaume-Uni devait sortir de l’UE, les acteurs financiers britanniques perdraient cet avantage, même sous un accord de sortie.
L’arrivée de ces acteurs au Luxembourg a eu pour effet de renforcer la position de la place financière internationale, et plus particulièrement son pôle d’activité lié aux fonds d’investissement. C’est d’ailleurs sans doute heureux que cette tendance n’ait pas– à ce jour– mené à une croissance majeure de l’emploi dans le secteur de la finance luxembourgeois.
A l’approche de la date initiale du Brexit, le 29 mars, le mouvement de migration d’acteurs venus du Royaume-Uni vers le Luxembourg semblait s’accélérer, les institutions financières craignant que la période de transition additionnelle de 21 mois ne se concrétise pas.
Selon la dernière estimation de Luxembourg for Finance, dix entreprises britanniques supplémentaires ont fait le choix de s’installer au Grand-Duché en février, portant leur nombre total à 58, dont 31 gestionnaires d’actifs. En outre, le Luxembourg, comme d’autres juridictions européennes d’ailleurs, va certainement profiter dans les années à venir de retombées liées à des investissements et opérations qui auraient normalement été confiés à Londres.
Selon S&P, le Luxembourg est une des économies les plus exposées aux répercussions ayant trait aux échanges commerciaux et à la migration
Toutefois, toute médaille a son revers. Selon Standard & Poor’s, le Grand-Duché est une des économies les plus exposées aux répercussions relatives aux perturbations des échanges commerciaux et des flux migratoires liés au Brexit, en raison notamment du nombre conséquent de transactions entre les deux places financières ainsi que du niveau d’exportation des biens et services luxembourgeois vers le Royaume-Uni.
Un rapport de la fondation allemande Bertelsmann Stiftung a évalué la perte des revenus auxquels Luxembourg aurait dû faire face cette année, en cas de Brexit sans accord, à 127 millions d’euros. Rapporté à la population du pays, cela représente un montant de 220 euros par habitant. Notons que la perte pour les résidents britanniques serait bien plus conséquente, puisque évaluée à 875 euros par habitant.
Malgré la décision de reporter la date limite du Brexit au 31 octobre, ce risque de préjudice économique demeure pour l’avenir, à moins qu’un accord de sortie ne soit conclu.
De manière générale, au sein de la communauté financière luxembourgeoise et dans les sphères dirigeantes du pays, de nombreuses personnalités considèrent le Brexit comme une perte globale pour le Grand-Duché. En effet, une grande partie des activités liées à l’industrie des fonds d’investissement découle directement des relations que la place financière luxembourgeoise entretient avec la City. Le Brexit risque de rendre ces relations bien plus complexes.
Dans les jours, semaines et mois à venir, Luxembourg pourrait faire face à un véritable séisme politique et économique, sans doute plus conséquent pour ce pays que ce qu’a pu représenter la chute du rideau de fer et de l’Union soviétique..
Les responsables de la place financière craignent notamment l’émergence de nouvelles restrictions et un renforcement du contrôle de l’Union européenne en matière de délégation de l’activité de gestion d’actifs vers des pays non européens, comme pourrait le devenir le Royaume-Uni. C’est un enjeu réel, et ce malgré l’assouplissement récent d’un projet de la Commission européenne qui prévoyait le transfert des pouvoirs des régulateurs nationaux vers l’autorité européenne de supervision des marchés financiers (ESMA).
Au-delà, avec le Brexit, le Luxembourg perd un allié puissant au cœur des délibérations menées au niveau de l’Union européenne. Le Royaume-Uni était un soutien fort du Luxembourg dans la défense du modèle d’ouverture des frontières et de libre-échange économique. Le Luxembourg peut davantage craindre que des barrières protectionnistes s’élèvent à nouveau en Europe, menaçant la croissance de l’industrie financière paneuropéenne. Le renforcement des mouvements populistes et la tendance à un plus grand protectionnisme dans de nombreuses régions du monde n’augurent en effet rien de bon.
Dans ce contexte, le Gouvernement, le Parlement et les régulateurs luxembourgeois ont fait de leur mieux pour protéger le pays et son secteur financier face à un risque de Brexit chaotique. Est-ce que cela sera suffisant ? Difficile à dire pour le moment. Dans les mois à venir, Luxembourg pourrait en effet devoir faire face à un véritable séisme politico-économique, peut-être plus conséquent pour ce pays que ce qu’a pu représenter la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique.
L’environnement économique et politique relativement stable du Luxembourg, qui lui a permis de prospérer considérablement au cours des dernières décennies malgré les crises, risque de disparaître à jamais. Il est désormais l’heure de boucler la ceinture, car nous partons en voyage vers l’inconnu.
A lire: LËTZEBUERGER JOURNAL – Petite mise au point